C’est vraiment important 96%, si proche de 100%, n’est-ce pas ?
Lorsque j’ai été confronté à cet imposant pourcentage dans un article en ligne, j’ai aussitôt été saisi par l’émotion, bouleversé. Dans l’instant suivant, j’ai refusé d’y croire. Je me suis précipité sur le net pour en avoir le cœur net. Et je l’ai eu. Net, mais quelque peu brisé aussi. Brisé par l’atrocité de la situation se cachant derrière ce pourcentage.
Il s’agit de la part de la biomasse* représentée par l’humanité et ses animaux domestiqués, rapportée à celle de l’ensemble des mammifères sur Terre.
Plusieurs articles avancent ce pourcentage de 96, voire 97%. La principale étude de référence date de Mai 2018. Elle a été menée conjointement par des Instituts de recherche américains et israéliens. La voici résumée :
https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1711842115
J’ai refait les calculs à partir de celle-ci :
- Si l’on ne prend en compte que les espèces de mammifères terrestres, on arrive même à 98% !
- En incluant les mammifères marins (cétacés etc.) on “descend” à environ 95%.
Parmi les 5000 à 6000 espèces de mammifères connues, une seule, accompagnée de deux poignées d’autres (la première constituée des animaux qu’elle élève pour s’en alimenter, la deuxième de ceux qu’elle a domestiqués pour lui tenir compagnie) représente 19 fois plus de biomasse que toutes les autres. Une petite vingtaine d’espèces d’un côté (hommes, vaches, cochons, moutons, chiens, chats etc.), plus de 5000 de l’autre (les vestiges de la biodiversité au sein des mammifères). Ces dernières incluent bien entendu, entre autres, des espèces pourtant bien plus massives que nous, telles que les éléphants, hippopotames, baleines etc.
Les mammifères vivants librement, parfois labellisés de « vie sauvage », ne représentent plus que 5 % de la biomasse de l’ensemble des mammifères de notre planète ! Si l’on ne considère que ce qui se passe sur la terre ferme, sur les 5 continent, on tombe même à 2% !
C’est monstrueux. Épouvantable. Catastrophique. À vrai dire, à mon sens, aucun adjectif ne peut qualifier la réalité de ce fait. Nous sommes en train d’éradiquer toutes les autres espèces de la surface de notre planète. Car, comme on l’entend parfois subrepticement dans les médias, la situation des autres classes d’animaux (oiseaux, reptiles, poissons, insectes…) n’est pas plus enviable…
Oui, la 6è extinction de masse est bien en cours, à l’échelle de temps de l’histoire de la vie sur Terre, elle est fulgurante, quasi instantanée, probablement bien plus que les précédentes. Et, surtout, elle n’est pas due à un événement cosmique (astéroïde) ou naturel (volcanisme, glaciation généralisée etc.). Non, celle-ci est de l’entière responsabilité d’une seule espèce, qui se dit intelligente, civilisée, consciente, et qui se targue souvent de porter et défendre des valeurs.
Car 96% (décidément !), c’est aussi le pourcentage des extinctions de mammifères au cours des 126 000 dernières années attribuées à la seule espèce humaine. Ces disparitions sont observées au fur et à mesure que l’homme s’est répandu à la surface du globale, après avoir quitté le continent africain. 351 espèces disparues ont été identifiées, et le rythme s’accélère depuis le 20è siècle, et le développement effréné issu de l’ère industrielle, accompagné d’une démographie galopante. Ce résultat, tout aussi dramatiquement alarmant que le précédent, est celui auquel a abouti une étude internationale dirigée par l’Université de Fribourg (Suisse) :
https://www.unifr.ch/inf/fr/news/23893/prev
Je savais que les derniers grands félins, éléphants, rhinocéros, baleines, grands singes, pandas, entre autres, se battaient désespérément contre l’extinction, avec l’aide de quelques humains courageux. Cependant, je ne m’étais jamais figuré que la situation soit aussi calamiteuse à l’échelle de la planète. Il ne faut pas se leurrer, ces nobles espèces sont en sursis, sous respirateur artificiel, l’extinction de la plupart d’entre elles est imminente, et ne sera démentie que par la survivance de quelques individus retenus prisonniers dans des zoos, pour notre plaisir et nous cacher la réalité de la situation. Les 351 espèces disparues ne sont que l’arbre qui cache la forêt.
Mais ce drame est logique. Nous sommes désormais plus de 8 milliards. Nous prenons trop de place. Presque toute la place. Nos villes, nos infrastructures de transport (routes, voies ferrées etc.), industrielles, commerciales, récréatives, et surtout nos champs (couvrant presque 50% du territoire français, à titre d’exemple), ne laissent que des miettes aux autres espèces. Nous ne concédons que des confettis de milieu naturel aux derniers représentants des 5000 autres espèces. Leur habitat est annexé, rogné, détruit, saccagé ou exploité par l’homme. Dans la plupart des pays (dont la France !), les réserves naturelles sont de vastes duperies n’assurant aucune protection aux (autres) animaux. Les derniers sanctuaires que sont devenues les réserves africaines n’arrêtent pas si souvent les braconniers et les chasseurs de trophées. Parfois, dans un subit élan de mansuétude, nous creusons de petits tunnels sous les routes (ou des ponts au-dessus), ou tentons de créer des « corridors » pour relier deux ou trois confettis boisés entre eux, et permettre ainsi aux blaireaux, chevreuils ou hérissons d’avoir une chance de passer de l’un à l’autre sans se faire écraser par un monstre de métal de deux tonnes lancé à 100 kms/h.
Dérisoire.
La puissance de feu de l’humanité est colossale, terrorisante, écœurante. En quelques décennies, nous avons déclenché un bouleversement climatique planétaire, pollué la Terre au-delà de l’imaginable, et provoquons la sixième extinction de masse du vivant.
Il est temps de réagir, de se ressaisir, d’arrêter de faire semblant. Nous devons nous réinventer totalement pour commencer à mériter un tout petit peu une place sur cette merveilleuse planète.
* Biomasse : masse de matière vivante
Sven Taro